Quand j’étais petit, je cassais mes jouets. C’était plus fort que moi. Cela désolait ma mère. Cette attirance pour l’autodestruction, je la ressens toujours. Je ne casse plus mes jouets mais quand j’ai l’impression d’être dans une impasse, je fais machine arrière et j’efface au passage ce qui m’a amené en ce maudit endroit.
Comme tout un chacun, je suis confiné. Plus le temps passe et moins je sors. Cela veut dire pas de photographies à l’extérieur, quelques photographies d’intérieur certains jours, aucune photographie le plus souvent. Je me suis mis à la superposition d’images, anciennes comme récentes, sous Photoshop; les heures s’écoulent plus facilement. L’exercice, très prenant, me permet d’oublier le contexte et, l’espace de quelques heures, de ne pas penser à mes proches touché•es par le Covid-19.
Un jour, poussé par la curiosité, j’ai cassé toutes mes voitures de collection au 1/43e, pour voir comment c’était dedans. L’envie était si forte que je n’ai pas songé ne serait-ce qu’un instant que jamais mes voitures ne reprendraient leur état antérieur. Je n’ai pas été puni; on ne m’a plus offert de petite auto.
Mon plus jeune fils a été contaminé par le virus. Le médecin lui a dit qu’il devait rentrer chez lui, sans protection particulière, que son cas n’était pas grave au point de réaliser un test. Il a pourtant été bien malade. Et —quelle surprise!— il a contaminé sa compagne. J’ai entendu ce matin à la radio un ancien responsable de la Santé dire qu’il ne fallait pas que les malades présentant les symptômes de la pandémie retournent chez eux, que procéder ainsi allait à l’encontre du but recherché. J’ai souri.
Enfant, je parlais tout seul. Je suis le dernier d’une fratrie de quatre, né longtemps après les autres. J’étais solitaire, livré à moi-même et je trouvais en moi le moyen de ne pas m’ennuyer. J’avais de l’imagination, je détournais les objets en ma possession, pas seulement les jouets, que j’avais moins nombreux que les petits d’aujourd’hui.
La semaine dernière, mon épouse m’a dit que je m’étais remis à parler seul. Le confinement m’a secoué au point de retomber en enfance. Cela ne m’a pas perturbé car notre jeunesse est en nous à jamais. Elle ne nous quitte pas, nous rappelant ses bonheurs comme ses traumatismes. En partant à la découverte de la superposition d’images, j’ai retrouvé mon âme d’enfant. Voir le monde autrement, ou carrément me créer un autre monde, rien qu’à moi, ce projet ne m’a pas quitté.
J’essaie toujours de faire ce que je ne sais pas faire, c’est ainsi que j’espère apprendre à le faire.
Pablo Picasso
Deux images au moins sont nécessaires pour procéder à leur superposition. C’est plus simple si elles sont de mêmes dimensions mais ce n’est pas impératif. Pour mes premiers essais, j’ai travaillé avec des lots de deux images carrées de même taille. La première image constitue le calque d’arrière-plan, réglé pour un affichage normal. La seconde image vient se placer au-dessus. Il faut lui associer un affichage permettant la superposition, tel que Produit, Éclaircir, Couleur la plus sombre, etc. L’image résultante se met à jour au survol des articles de la liste; pas besoin de cliquer; c’est bien agréable. Évidemment il faut cliquer pour confirmer son choix. L’opacité du calque supérieur, par défaut à 100%, peut être modifiée. Certains effets, carrément moches à 100%, peuvent devenir intéressants à petite dose. J’ai également utilisé la commande Négatif sur l’un des calques, pour voir; avec les images graphiques, cela fonctionne.
Superposition 1 est ma première réalisation de cette période de confinement. En arrière-plan, j’ai mis la macro d’une dosette Nespresso, solarisée; au premier plan, une texture en noir et blanc, la vue rapprochée de la porte d’un boîtier de compteur électrique.
Il n’est pas bien difficile de comprendre comment est réalisé Portrait d’une tache —j’adore les jeux de mots (laids) et l’autodérision. La superposition est du type Couleur la plus sombre. Mon visage, gris moyen, prend le dessus sur la peinture blanche du centre de la tache mais quelques graviers bien noirs restent néanmoins visibles. Si ma tête de clown vous dit quelque chose, ce n’est pas surprenant: c’est la première photographie que j’ai publiée sur ce blog. Ne me demandez comment l’association entre la tache (de peinture) et mon humble personne (quelle tache ce mec!) s’est faite. Y’a du Lacan derrière tout ça.
Pour la première image (coin HG) de Variations, j’ai privilégié la Couleur la plus claire. La superposition est à peine perceptible; on dirait qu’un artiste acariâtre a jeté de la peinture sur le mur. Pour la deuxième image (coin HD), le choix inverse, Couleur la plus sombre, conduit à une image graphique, construite comme Portrait d’une tache pour un résultat totalement différent. La troisième image (coin BG)est composée comme la première mais avec le négatif de la tache. La quatrième (coin BD) est le négatif de la troisième.
En voyant ce quadriptyque, vous avez forcément vos préférences et trouvez certaines images meilleures que d’autres. Mais —ce n’est que mon avis— chaque superposition, prise isolément, se tient, sans doute parce qu’il s’agit de graphisme pur et que les couleurs n’ont pas à être réalistes.
Pour en finir avec ma tache de peinture, je l’ai mélangée avec un store vénitien. J’adore le résultat, à mes yeux teinté de surréalisme. C’est tordu mais c’est justement pour cette raison que j’aime.
J’ai utilisé le même store vénitien pour l’autoportrait qui figure en tête de cet article. C’est surprenant et très efficace.
L’autoportrait m’avait servi initialement pour une mini-série d’esprit publicitaire vantant les mérites d’une marque de café en dosettes. J’y ai vu l’opportunité de remettre le métier sur l’ouvrage, en usant cette fois de la superposition d’images. La photographie de la tasse de café a été prise pour l’occasion; c’est la seule image de cet article qui n’est pas sortie de mes archives. Cette fausse pub n’est pas seulement une superposition: l’image montrant la tasse a été désaturée partiellement. Ce n’est jamais qu’une légère extrapolation de la réalité car la surface de la table est d’une teinte beige clair peu saturée. En revanche, pour la surface du café, j’ai joué des curseurs pour obtenir un rendu chaud, presque doré. Le café étant le produit, il doit attirer l’œil.
Je désirais réaliser d’autres images dans le même esprit, superposant une image en couleurs et une image en noir et blanc, au format carré, avec l’idée directrice de vendre du café. Malheureusement une panne d’ordinateur m’en a empêché. Par chance, comme j’avais réalisé ce premier travail à la fin du mois de mars, j’ai pu faire de ce montage un poisson d’avril.
Pour que ce soit bien clair, je ne suis pas un pro de Photoshop. Mon article fera bien rire les spécialistes s’il s’en trouve parmi mes lecteurs. Je ne suis pas non plus un pro de la photographie, publicitaire ou autre. Mais j’aime m’inspirer de ce que je vois dans les magazines, dans les musées, dans les livres et sur les écrans. J’aime faire des À la manière de. Je continuerai à superposer mes images à l’occasion. Présentement, cette activité m’a permis de penser à autre chose, à ne pas trop m’inquiéter en ces temps difficiles. Comme disait quelqu’un que j’aime bien:
Nous vivons une époque moderne
Philippe Meyer, chroniqueur à France Inter entre 1989 et 2000
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